Démissions dans l'appareil sécuritaire arménien. Pachinyan resserre les rangs et rassure Moscou.

Après le chef du service de contrôle des forces armées de la République d'Arménie, Movses Akopyan, hier, c'est le ministre arménien de la défense David Tonoyan qui a présenté sa démission au Président Armen Sarkyssian aujourd'hui. Il a été remplacé immédiatement par le général Vagarschak Haroutyounyan.

David Tonoyan a justifié sa démission dans un communiqué qui a été diffusé à la presse :

"Chers compatriotes, chars camarades d'armes!

Après des décennies de service au ministère de la défense et dans l'exécutif, je cesse aujourd'hui mon séjour dans le service public.

Je crois sincèrement que toutes les idées qui ont été mises en œuvre à la suite du travail honnête et dévoué de mes collègues pendant mon mandat ont contribué modestement au développement et à l'amélioration du système de défense de notre pays. Mais résumer son travail en tant que ministre aujourd'hui est inapproprié, car il a été involontairement généralisé à la deuxième guerre de l'Artsakh. Suis-je satisfait de mon travail pendant la guerre et au stade de sa préparation ? Je pense que certaines orientations conceptuelles doivent être révisées et je suis prêt à assumer la responsabilité de ne pas avoir eu le temps de les mettre en œuvre.

Mais je vous assure que tout le personnel du ministère de la défense et des forces Armées a été guidé par le principe de responsabilité envers la Patrie, n'hésitant devant rien au nom de la victoire, faisant toujours plus que ce que leur devoir de service et de travail exige. Je veux adresser à ces personnes des remerciements particuliers. Nous avons passé ensemble des journées de travail incessantes, souvent 24 heures sur 24, et pas seulement pendant cette guerre. Et c'est un honneur pour moi de pouvoir avoir fait partie de cette équipe fanatique pendant de nombreuses années, qui servira encore longtemps la Patrie. Je reste convaincu que l'armée arménienne est forte et deviendra encore plus forte.

Pour le moment, il est doublement difficile pour moi de mettre fin à mon mandat, car je n'ai pas l'habitude d'éviter des situations difficiles si le service à l'Etat et du Peuple est dans la balance. J'ai été guidé par les mêmes principes au printemps 2018. Mais la situation actuelle a besoin de sérénité. Et je veux que mon départ soit pris comme cela.

Je m'incline devant la mémoire de nos camarades morts et leurs proches et je voudrais aussi demander pardon à ceux dont les espoirs n'ont pas été pleinement remplis. Mais je ne pense pas que le service de mon peuple soit terminé."

David Tonoyan, tout comme son successeur V. Haroutyounyan, ont fait une grande partie de leur carrière comme diplomates militaires.

Tonoyan avait aussi un profil policier (il est issu du ministère de l'intérieur et avait mis en place la police militaire arménienne en 1994), ce qui lui donnait une coloration anti-corruption. Il avait aussi la confiance des pays occidentaux, car il avait été militaire à la représentation permanente (1998-2004), puis représentant permanent de l'Arménie auprès de l'OTAN (2004-2007), tout en ayant été formé à l'académie diplomatique militaire de Moscou (1997).

Haroutyounyan a un profil beaucoup plus politique :

Officier dans la marine de guerre soviétique, il a servi en extrême-orient russe, dans la flotte du pacifique (1978-1990).

Il est diplomé de l'école navale supérieure de la flotille de la Caspienne de Bakou (1978), de l'académie militaire des forces armées de l'URSS Maréchal Gretchko de Moscou (1991) et de l'académie de l'état-major général des forces armées de la Fédération de Russie à Moscou (1998).

1990 - 1992 : 1er adjoint au Président du Comité D'Etat à la défense (ancêtre du ministère de la défense) de la République d'Arménie.

Dans les 7 premières de l'indépendance arménienne il sert comme dipplomate militaire arménien dans les structures militaires de la Communauté des Etats Indépendants (CEI). En 1999, il remplace le héros mythique de la première guerre du Haut-Karabakh, Vasguen Sargsian comme ministre de la défense de la République d'Arménie.

Il quitte le poste de ministre de la défense en mai 2000, à cause de divergences politiques entre le Président arménien Robert Kotcharian et le Premier Ministre Aram Sargsian. Haroutyounyan suit ce dernier dans l'opposition. Il créé avec Aram Sargsian le parti "République", en rupture avec le parti républicain d'Arménie du futur Président Serzh Sargsian.

Il participe, ensuite en 2005 à la fondation du parti de la renaissance nationale, qui fusionnera avec le parti libéral-démocrate en 2007.

Nommé génral de brigade en 1996, le Président Robert Kotcharian avait signé un décret en 2002 lui retirant ce grade. Il a été rétabli dans le grade de général de brigade par décret du Président Armen Sarkissian, sur proposition du Premier Ministre N. Pachinyan en 2019.

En 2019, il devient vice-président de l'union des volontaires "Erkrapa" qui rassemble les vétérans de la guerre du Haut-Karabakh, en même qu'un nouveau  président,qui n'est autre que le député du parti de Nikol Pachinyan Sansoun Mikaelyan.

Le 19 août 2020, il est nommé conseiller principal du Premier Ministre Nikol Pachinyan.

C'est donc un politicien d'opposition endurci, mais ayant de nombreux relais à Moscou et qui est aussi un proche du Premier Ministre qui entre au Ministère de la Défense. C'est aussi un ennemi affirmé de Robert Kotcharian, que l'entourrage du Premier Ministre soupçonne de tirer les ficelles de la contestation.

Plus tard dans la journée d'autres nominations/démissions ont été publiées :

- Le ministre des situations d'urgence (ministère en charge de la sécurité civile) Felix Tsokalian, un rescapé de l'ancien régime (ancien officier du KGB, proche de Serzh Sargsyan, il fut le seul député du parti républicain d'Arménie à voter pour la candidature de Nikol Pachinyan au poste de Premier Ministre) a démissionné le 17 novembre  et a été remplacé aujourd'hui par le général Andranik Piloyan, commandant de la 5eme région militaire, engagé dans les combats de la 2e guerre du Haut-Karabakh. Il a été décoré du titre de Héros national de l'Arménie pour son rôle dans la défense du front Sud de la République.

Cette nomination est aussi un signe de durcissement de l'équipe gouvernementale. La Général Piloyan n'est pas connu pour être un général politique, mais il est respecté dans l'appareil militaire et bénéficie d'une excellente réputation dans les cercles militaires à Moscou. Sa région militaire contrôlait la frontière avec la République autonome azerbaïdjanaise du Nakhitchevan, où il a repoussé plusieurs tentatives de provocations militaires venant d'Azerbaïdjan avec sang froid et courage.

- Shoushan Stepanyan, la porte-parole du ministère de la défense de la République d'Arménie a aussi démissionné. Elle a expliqué les raisons de de sa démission sur sa page facebook :

"Chers compatriotes,

Chers collègues,

Je suis la fille de l'azatamartik (lguerrier libérateur) Shagen Stepanyan, qui a combattu sur tout le front Sud pendant la première guerre de l'Artsakh et est mort dans Fizuli libérée. Je viens de Gadrut, donc mon attitude à l'égard de cette guerre était aussi purement personnelle. Et j'ai accepté l'issue de la guerre non seulement en tant que représentant du département de la défense, mais aussi en tant que perte personnelle.

Je pense qu'à un moment aussi difficile pour la patrie, il est plus que nécessaire que les responsables publics ne prennent pas de décisions sous le coup de l'émotion, mais examinent les phénomènes d'un point de vue professionnel et mettent tout leur potentiel en œuvre. C'est quelque chose que je ne peux pas faire maintenant.

Je vous remercie d'avoir été là et de m'avoir soutenu pendant ces jours difficiles. Nous avons essayé d'être guidés par les règles de la guerre de l'information, de fournir des informations qui, selon des règles écrites et non écrites, devraient être fournies à la société d'un pays en guerre. Si, néanmoins, j'ai peut-être réussi quelque chose, alors je considère que vous avez été ma principale motivation, ce pourquoi je vous suis extrêmement reconnaissant.

L'armée arménienne sera toujours le porte-drapeau des victoires nationales.

Le chagrin est Éternel s'il n'y a pas de lutte : seulement dans ce cas.»

Cette démission est la conséquence logique des attaques dont elle a fait l'objet de la part du général Akopyan dans la conférence de presse d'hier, où elle était, à mots voilés, accusée de répandre 100 % de mensonges pendant la guerre qui vient de se terminer.

Sources :

https://vesti.am/post/283586/ru

https://ria.ru/20201120/vagarshak-arutyunyan-1585529608.html

https://vesti.am/post/283576/ru